TOUCHER ET ETRE TOUCHE, DIGITALITE ET PLURALITE | Kim Leroy |
L'expérience tactile de la peinture nous conduit vers un rapport au monde qui est celui de la proximité sensible, avec tout ce que cela peut comporter de vulnérabilité et de dévoilement de soi-même. Jean-Luc Nancy nous rappelle avec insistance le statut particulier du toucher parmi les cinq sens : «[…] il ne touche qu'en se touchant lui-même, touché par ce qu'il touche et parce qu'il le touche, le toucher présente le moment propre de l'extériorité sensible, il le présente comme tel et comme sensible . » C'est sans doute cette réciprocité solidaire du senti et du sentant, que des cinq sens seul le toucher est absolument vital, le toucher est le seul sens qui soit véritablement relationnel, le seul qui atteste de manière indubitable l'existence du monde extérieur dans le mouvement même de la reconnaissance de notre propre existence corporelle.
Les peintures d'Aïda Kazarian, jouant sur le rythme et la couleur de ces touches digitales, manifestent une expérience du toucher qui rejoint celle de la trace comme signe indiciel tel que défini par Peirce . La trace est avant tout une relation d'existence entre deux êtres dont les corps se sont touchés et ont laissé de leur contact la signature singulière de leur rencontre dans un espace-temps déterminé. Toucher la toile du bout des doigts selon un rituel mélodique et laisser l'empreinte picturale du contact de son corps en ses extrémités, sans doute était-ce la voie qui engageait le plus intimement l'artiste en son être.
Kim Leroy, 2003
Texte extrait du catalogue de l'exposition <Du diaphane et de l'illusion Une
pluralité d'apparences>
Commissaire : Arlette Lemmonier
Iselp - Institut Supérieur pour l'Etude du Langage Plastique -
Bruxelles, 2003